Écrit par Tom I 17 septembre 2020
Artiste et designer italien qui ne rentre dans aucune case, Piero Fornasetti s’est fait une place dans la culture italienne et dans l’imaginaire design de ses compatriotes. Et bien que tous ses dessins soient de lui, aucuns ne sonnent plus « Fornasetti » que les visages qu’il a façonnés. La beauté aux yeux clairs de Lina Cavalieri a servi de modèle au designer pour une série de conceptions ayant pris des milliers de formes. Et pourtant, il y a une vraie femme derrière ce visage devenu familier dans les intérieurs du monde entier. Nous avons demandé à l’expert en design, Alexander Fahl, de nous en dire plus sur l’histoire et le style incomparable de Fornasetti.
Des constellations de navires flottants de l’ère steampunk. Des clichés de villes forteresses italiennes. Des écosystèmes de la vie aquatique. Ce ne sont là que quelques uns des designs surréalistes qui ont façonné le style de Fornasetti, au-delà de tout mouvement prédéfini. « Fornasetti est une personnalité singulière dans l’histoire de l’art et du design », entame Alexander. « Il a commencé en tant que peintre, mais n’a jamais voulu suivre les chemins prédéfinis des artistes de son temps. Dès le début de sa carrière, il a ignoré et transgressé les frontières entre l’art, le design et l’artisanat. »
Fornasetti s’est heurté aux règles institutionnelles de l’art, quittant son école d’art, car personne ne voulait lui apprendre le dessin de nu, qu’il voyait pourtant comme le fondement même du croquis. « Les éléments moteurs de son art, ce sont son imagination débordante et sa fantaisie nourries par un intérêt pour de nombreux domaines allant de la nature à la technologie, en passant par la musique, la sexualité, les cultures étrangères et la typographie ». Et c’est précisément son absence de considération pour les frontières du design qui l’a amené à créer l’une de ses œuvres les plus célèbres : la série « tema e variazioni » (thèmes et variations).
Les nombreux visages de Lina Cavalieri
Jusqu’aux années 1950, Fornasetti expérimentait avec l’imprimerie, la céramique et le graphisme, peaufinant son style humoristique, fantaisiste et théâtral. Il était déjà célèbre pour ses dessins bien à part, et pour sa collaboration avec le designer industriel Gio Ponti sur plusieurs projets.
Mais une rencontre fortuite changera bientôt sa carrière.
En 1952, en feuilletant un magazine, Fornasetti tombe sur le visage de Lina Cavalieri, une chanteuse d’opéra considérée comme la plus belle femme de Paris. Enchanté par sa beauté, Fornasetti a déclaré qu’il allait peindre le visage de la plus belle femme du monde. Celui de Cavalieri sera son inspiration.
« La série des visages de Fornasetti est basée sur un véritable visage, celui de la chanteuse d’opéra Lina Cavalieri, réputée alors être l’une des plus belles femmes de son temps. Sa beauté authentique est un modèle idéal pour des variations illimitées ».
Son visage est devenu la pièce maîtresse d’un service de table comptant plus de 500 expressions. Elle pleure dans l’un, fait des clins d’œil dans l’autre, ou se cache derrière une tasse à café. Rien ne faisait trop surréaliste sur son visage, qui va jusqu’à arborer une moustache dans l’une de ses déclinaisons. Ce visage est devenu une réelle obsession chez Fornasetti, et il ne saurait se l’expliquer : « J’ai commencé à les faire et je n’ai jamais arrêté ».
Concevoir, répéter et répéter
Fornasetti est différent, non seulement pour ses illustrations, mais aussi pour la façon dont il les a produites. Plutôt que de réaliser de nouvelles typologies et de nouveaux dessins comme ses contemporains le faisaient, Fornasetti a choisi de travailler et retravailler sur les mêmes sujets, encore et encore. « Les visages de Fornasetti en sont le meilleur exemple », appuie Alexander. « Toutes ces variations attestent bien des aspects fantaisistes, spirituels, mystiques, symbolistes et créatifs du monde de Fornasetti. Raisons pour lesquelles ces pièces sont tout à fait merveilleuses à collectionner. On ne s’en lasse jamais ».
Fornasetti se heurta au mouvement moderniste de l’époque, qui rejeta son approche décalée et frivole. Mais c’est ce qui le rend très populaire aujourd’hui, explique Alexander. « La caractéristique frappante de son travail est son utilisation unique de la décoration, qu’il a rendue à nouveau populaire pour une courte période après la Seconde Guerre mondiale. Les gens voulaient célébrer la vie après la période dévastatrice des deux guerres mondiales. « La forme suit la fonction » mais ses designs simples avaient besoin d’un supplément d’âme sous la forme d’une décoration créative à la touche « dolce vita ». De nombreux objets d’usage du quotidien, des meubles et même du tissu ont été créés. »
Fornasetti est à l’origine d’une forme pure d’expression de soi qui n’était pas palpable dans le design de l’époque. Il injectait du flair, de la mélancolie et du drame dans chaque pièce, qu’il s’agisse de planches ou d’affiches, pour créer son propre univers. « Son travail semble se situer à la croisée des chemins entre art, design, et artisanat. Impossible donc de lui attribuer un style particulier. Fornasetti est inclassable. C’est ce qui le rend si spécial. »
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