Françoise HUGUIER - Série "Durban" (1998) - 14 photos signées au dos Tirages par la photographe. La célèbre photographe française a côtoyé les femmes des ghettos de Durban. Ces photographies ont été exposées en 1998 à la Maison européenne de la photographie à Paris Durban (Afrique du sud), est à première vue une belle métropole de huit millions d'habitants, avec un front de mer moderne alangui sur l'océan Indien. Derrière la ligne de crête des buildings blancs, on trouve une autre ligne de collines peuplée de villas souvent superbes, où vivent des descendants d'Européens prospères. Au-delà, il y a les quartiers indiens, avec leurs temples, leurs centres communautaires, leur énergie. Puis c'est l'enfer. Les quartiers déglingués, les hostels, barres de briques brunes entourées de terrains vagues, où vivaient et vivent toujours les célibataires noirs. Et les bidonvilles, qu'on appelle ici squatter camps, où d'autres Noirs en famille cohabitent avec les ordures. C'est évidemment dans ce Durban-là, loin des surfeurs et des barrières à requins, loin des casinos, des restaurants à la mode et même du port et des pittoresques bars qui sentent le pied et la bière brute, que la photographe française Françoise Huguier est venue porter son objectif. Parce qu'aucune apparence trop suave ne la satisfait. Et que le regard des femmes qu'elle y a croisées l'a émue. Séquelles de l'apartheid. Ses photos sont empreintes de cette complicité qui faisait déjà le prix de son grand livre d'images, l'Afrique fantôme. Mais ici, il n'y a pas le confort relatif de l'environnement traditionnel, du village de brousse, de l'exotisme. Il y a au contraire quelque chose d'un désespoir moderne. Les Africaines que l'on voit quasiment recluses dans leurs coin de dortoir, ou dans leur bout de bicoque distordue, au milieu de leurs tissus, le visage enflé par la déception, l'ennui ou l'alcool, sont d'éternelles migrantes, des femmes arrachées à toute tradition, des victimes de l'apartheid d'hier et de l'exploitation de toujours. Huguier n'excelle pas seulement à capter la présence de ces dames dignes dans leur bout de nulle part. Elle réussit aussi à faire exister les frêles mâles qui les côtoient. Comme ce type en casquette pied-de-poule, chemise effilochée, yeux perdus, qui semble projeter loin ses interrogations du fond de la guinguette minable et poussiéreuse où il est attablé. De corps en corps, de cadre en cadre, Huguier a réinventé la lumière du blues. (Libération)